Moi, le peuple

En 1700, je croyais en Dieu (ou pas; mais cela est une autre histoire). En 1700, j’avais un roi qui m’avait été envoyé par ce dieu à qui pourtant je n’avais rien demandé. On me disait que c’était « l’oint du Seigneur » avec le saint chrême (une sombre histoire d’huile que le Saint-Esprit déguisé en colombe aurait apporté à Reims, lors du baptême de Clovis). Son droit à régner et à être mon maître avait pour fondement la volonté de ce dieu auquel je croyais. Je ne l’avais pas choisi, ce roi (pas plus que le dieu, d’ailleurs) et -content, pas content, content quand même- j’obéissais. Comme j’obéissais à ceux qui étaient ses amis et ses serviteurs. C’était mon devoir. Bien sûr, quelquefois, je ne comprenais pas tout. Bien sûr, quelquefois, je me disais qu’il poussait un peu. Mais j’obéissais. Bien obligé. Je me disais bien que si on m’avait demandé mon avis … mais on ne me le demandait pas. Et puis, je pouvais toujours me dire que, quand ça allait mal, je n’y étais pour rien puisqu’on ne m’avait pas demandé mon avis.

Trois siècles plus tard, je ne crois plus en Dieu ni à la nécessité d’avoir un roi qui soit l’oint du Seigneur. Et entre nous, l’histoire du Saint-Esprit déguisé en colombe … vous m’avez compris. Je n’ai plus de dieu. Mais j’ai encore un maître. La différence, c’est que ce maître, je  l’ai choisi. Ou c’est du moins ce qu’on voudrait me faire croire. La différence encore, c’est qu’on me demande mon avis de temps en temps, quand on me fait désigner des gens qui me représenteront et qui appliqueront le programme qu’ils m’ont proposé. Même que c’est la démocratie, que c’est moi qui commande, que c’est le paradis sur terre et que si je ne suis pas content, je n’ai à m’en prendre qu’à moi.

Parce que, figurez-vous, il m’arrive de ne pas être content. Il se peut que je n’ai pas donné le bon avis et que donc ce soit l’avis de quelqu’un d’autre qui prime, il se peut que je n’ai pas choisi le bon programme, il se peut aussi que je n’ai pas choisi le bon maître. Et que je doive attendre ma revanche sous l’autorité d’un maître que d’autres ont choisi. Mais il se peut aussi qu’ayant eu tout bon au jeu des élections, ceux que j’ai désignés ne tiennent pas leurs promesses (si, si, c’est incroyable mais ça arrive) et qu’une fois élus, ils me disent: « Je t’ai bien eu » (j’avoue que, s’ils le pensent, ils le disent très rarement) ou, le plus souvent: « On croyait que c’était possible mais les circonstances (les étrangers, la météo, le cours du pétrole etc) … ». Ils se peut aussi que je me trompe et que ceux que j’ai choisis se révèlent être des incompétents totaux, de fieffés imbéciles, des illuminés ou tout, bêtement, des fripons.

Il se peut même que le choix soit très difficile car tous ceux qui veulent être choisis, je les connais. Par le passé, ils se sont montrés des incompétents totaux, de fieffés imbéciles etc (voir le paragraphe précédent).

Alors, je me dis que tout ça, c’est bien joli mais que ça ne marche pas. J’en ai la preuve tous les jours.

Alors, je ne vote pas. Et quand je ronchonne on me rétorque que ceux qui ne votent pas n’ont pas le droit de se plaindre.

A quoi je réponds que ce sont ceux qui votent qui n’ont pas le droit de se plaindre. Ils ont joué, ils ont perdu.

D’où on conclut que notre parodie de démocratie, c’est un peu comme le loto. Ceux qui ne jouent pas, ne perdent rien. Ceux qui jouent perdent toujours ou presque. Qu’ils ne se plaignent pas! Ils avaient qu’à ne pas jouer.

16 réflexions sur “Moi, le peuple

  1. Dr WO 11 juin 2016 / 16 h 32 min

    Je vois que l’on taquine joliment l

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    • Pangloss 11 juin 2016 / 16 h 49 min

      Une faute de frappe est bien excusable. Sauf sur un ring.

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  2. Dr WO 11 juin 2016 / 16 h 38 min

    Mon doigt a glissé. Je recommence. Je vois que l’on taquine joliment la fable (elle rejoint un peu un de mes billets récents (« les rejetons malformés de la démocratie »). Il arrive parfois que l’on gagne en jouant, mais celui qui ne joue pas ne gagne jamais.

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    • Pangloss 11 juin 2016 / 16 h 49 min

      Pouvez-vous me citer un exemple de gagnant? Un vrai pas le bénéficiaire d’un lot de consolation qu’il maudit tous les jours en le voyant se montrer à la télé.
      Je sais bien que le refus de vote est la position individuelle (mais pas individualiste) de celui qui refuse de participer à un jeu qu’il estime pipé. Le jour où les abstentionnnistes auront la majorité, les choses changeront peut-être. En attendant on peut espérer la prise en compte des bulletins blancs dans les suffrages exprimés. A condition bien sûr que les princes qui nous gouvernent en tiennent compte et ne nous fassent pas le coup du referendum de 2005.

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      • Dr WO 12 juin 2016 / 8 h 53 min

        Il me semble que l’élection de De Gaulle était souhaitable.

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      • Pangloss 12 juin 2016 / 9 h 59 min

        Sans doute. L’exception qui confirme la règle. Règle qui se vérifie aujourd’hui. En dehors des groupies de tel ou tel qui peut affirmer qu’un candidat a la stature de De Gaulle? Et dans le mot « stature », j’en globe la compétence, l’honnêteté, l’intelligence,la vision, le dévouement à l’intérêt général etc

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  3. Homo Orcus 13 juin 2016 / 7 h 19 min

    Je ne vote plus depuis 1983 et je ne dois pas être le seul à cette époque à avoir pris cette décision puisque Mitran voulait rendre le vote obligatoire. Pourquoi on vous prend pour des cons : Le devoir civique ? Pour envoyer MES représentants à l’assemblée ? qui vont voter des lois reflétant la volonté populaire (Rousseau) ? Comme je ne crois jamais ce que j’entends mais seulement le constat de faits : les franmacs se votent une loi d’auto-amnistie, des retraites sans cotisations ou si faibles que c’est peanuts etc. La liste des lois de la « volonté populaire » est si longue que l’on pourrait en faire une saga des sagouins. Étant libertarien il m’est impossible de voter pour des représentants d’eux-mêmes d’un état omniscient et omniprésent. Étant orwellien il m’est impossible de me sentir responsable de ma connerie qui serait de voter pour mon malheur, ne pouvant plus me plaindre comme aujourd’hui. Cependant j’ai établi une liste de mes conditions pour quitter l’urinoir et revenir aux urnes. Je vous livre la première de toute, la sine qua non, l’instauration d’un péculat (de droit romain). Vous comprenez que mon retour est impossible.
    Je ne suis pas mécontent de ma posture puisque plus ça va et plus le représentant est débilos.
    Je vous conseille « Dépasser la démocratie » Karsten & Beckman – Éditions Coppet.
    Ce bouquin prouve que Churchill a sorti une énorme connerie, la démocratie « dévoyée » est le pire des régimes.

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    • Pangloss 13 juin 2016 / 12 h 21 min

      Il y a des moments où je suis moi aussi libertarien. A d’autres, un peu moins. Poussé à ses limites, il me fait peur. Mais où fixer les limites? Si l’Etat se contentait de ses tâches régaliennes et de rien d’autre. Je serais déjà à moitié satisfait. A condition que les « hommes de l’Etat » possèdent au plus haut point des qualités peu communes: compétence, honnêteté, intelligence, dévouement etc. Difficile, non?

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      • Homo Orcus 13 juin 2016 / 14 h 49 min

        Murray Rothbard m’a mis le pied à l’étrier puis Mises et les écoles de Salamanque et les économistes français jusqu’à Bastiat. Voter c’est aussi se retrouver avec Robespierre, Hitler, Mussolini et si on ne nous demande pas notre avis c’est aussi Staline, Pol pot et toute la clique.
        Le laissez-faire économique est moins dangereux que l’Etat, c’est l’histoire qui le prouve.

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      • Pangloss 13 juin 2016 / 16 h 11 min

        Je suis sceptique sur une théorie qui met en premier le laisser-faire économique. L’économie n’est pas tout. Il y a beaucoup d’autres éléments à prendre en compte. Le pouvoir économique est un pouvoir comme les autres. Je suis de ce point de vue plus libertaire que libertarien. « L’Ethique de la liberté » expose une vision intéressante et par certains aspects séduisante mais …

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  4. Souliko2 13 juin 2016 / 10 h 19 min

    En 2012 « on » a voté contre Sarkozy, en 2017 « on » va voter contre Hollande… qui a envie de voter pour la bande de glandus qui veulent être calife à la place du calife ? J’irai peut-être voter…blanc ! Même si je sais que cela ne sert à rien.

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    • Pangloss 13 juin 2016 / 12 h 24 min

      C’est au moins un vote. Une position qui se justifie même actuellement. On croit à la démocratie, on adhère au principe du suffrage universel. C’est juste qu’à la carte comme au menu, aucun plat ne fait envie.

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  5. paulfortune1975 13 juin 2016 / 11 h 05 min

    Comme disait Tocqueville, il n’y a pas lieu de s’inquiéter du suffrage universel car les gens voteront comme on leur dira.

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    • Pangloss 13 juin 2016 / 12 h 25 min

      Il me semble que ce soit presque le cas. On n’a de choix que celui qu’on nous impose.

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  6. Ô Bonheur des Dames ! 13 juin 2016 / 13 h 03 min

    A ce petit jeu, la porte est ouverte à tous les extrêmes. Voter, c’est aussi bâtir des digues. Même fragiles.

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    • Pangloss 13 juin 2016 / 16 h 06 min

      C’est rajouter des barreaux aux cages.

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