Ni fraîche ni joyeuse (13)

« La journée du 7 se passe. Je vais à la pêche avec Laurent. Pas de poisson mais un bain de pieds. A 20 heures: en tenue. A 20 heures 30: départ pour les tranchées. L’attaque est pour le 8 et comme par hasard nous en sommes. Départ sous la pluie battante à Maricourt. Je vais au PC du bataillon avec le capitaine. Plongeon dans un boyau plein d’eau. Nous sommes d’une humeur charmante.
Départ aux tranchées sans savoir où elles sont. Secteur anglais. Arrivée à un point quelconque, discussion très animée entre les English et le lieutenant Soulié. Je pars en reconnaissance avec Laplace, le capitaine Biguet et le lieutenant. Après maintes péripéties, arrivons à la Briquetterie de Montauban et de là sur un petit poste boche. Nous nous en tirons sans encombre. Réussissons à trouver le PC du commandant. Attente de deux heures sous la pluie battante sans abri.

Il est 3 heures 30, départ en ligne. Promenade de 800 mètres dans un boyau avec de l’eau jusqu’aux genoux et la pluie tombe toujours. Quel affreux temps! Tout transis, nous attrapons des pelles et creusons une tranchée de départ. Au jour, elle est prête. Rudimentaire mais qu’importe! Nous sommes couverts de boue et tremblons de froid. Le bombardement s’accélère. C’est un tonnerre perpétuel. De tous côtés des éclairs et de la fumée.

Vers huit heures, des Allemands viennent se rendre et sont bien accueillis. J’assiste à une scène unique. Un blessé allemand est dans un champ et ne peut marcher. Un soldat de la 12 va le chercher sous le bombardement et l’amène chez nous. Pauvre gosse! Très jeune. J’en ai les larmes aux yeux et me demande comment après pareil spectacle nous pouvons faire la guerre.

9 heures 30, nous sautons le parapet. Les compagnies alignées comme à l’exercice, sans un geste précipité. Nous arrivons à la crête. L’artillerie tire trop court et presque sur nous. Enfin, tout rentre dans l’ordre. Nous creusons une guitoune dans d’anciennes tranchées.Tout s’est bien passé mais, comme toujours, les Anglais sont restés en carafe!!!

Nouveau bombardement encore plus violent peut-être et ils attaquent à nouveau. Encore un insuccès de plus. Il est 16 heures 30.

Départ à 19 heures. Ravitaillement. Les balles sifflent mais ne blessent personne de chez nous. Un capitaine est tué à côté. Retour tout seul à travers champs. Depuis la parallèle de départ, je tombe une dizaine de fois en route. En arrivant, avec Mazuel et Doliet, nous faisons un abri en toiles de tente. Au réveil, je suis glacé et complètement frigorifié. Dehors, il fait un soleil radieux.  Je vais au bois Tavières. C’est un charnier. Partout des cadavres déchiquetés. Je dédie cette vision aux civils qui tiennent jusqu’au bout!

Les Allemands nous arrosent depuis ce matin avec des fusants de 105. Un éclat vient frapper la paroi à 10 cm pendant que j’écris. Laissons passer l’orage, la colère est mauvaise conseillère et inutile de les exciter!

En attendant, je vais boire un quart de pinard, cette liqueur sacrée des poilus boueux et minables que nous sommes, déshabitués des joies et des fastes de la vie civile. 20 heures, nous allons prendre les ordres pour la relève. Au moment où nous sommes au PC du commandant, deux compagnies anglaises débouchent sur la crête. C’est fou. Immédiatement les 105 et les 130 éclatent sur eux sans arrêt. Quelle boucherie. Mes félicitations aux fous qui les dirigent aussi stupidement.

Nous partons salués par les balles jusqu’au ravin avec Toto. Course effrénée sans commandement.

Attente de 4 heures à Méricourt. Le …. se montre enfin. Je conduis un peloton jusqu’aux tranchées. Ils sont transis de peur et gémissent sur leur malheureux sort. Arrivée aux tranchées, je repars immédiatement avec Toto. Retour sans histoire.« 

6 réflexions sur “Ni fraîche ni joyeuse (13)

  1. ZAZA RAMBETTE 21 juin 2015 / 9 h 19 min

    La peur et la colère prennent le pas sur la routine…. Nous ne sommes pas loin de la rébellion ! Bonne journée mon Pangloss et bonne fête des pères.

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    • Pangloss 21 juin 2015 / 9 h 22 min

      On n’en est pas encore à la mutinerie. Mais le ras-le-bol est compréhensible. Comment ont-ils pu supporter ça?
      Merci pour tes souhaits et bonne journée à toi.

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  2. Dr WO 21 juin 2015 / 14 h 26 min

    Récit dense comme le déroulé d’un film fou.

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    • Pangloss 21 juin 2015 / 18 h 01 min

      Une descente aux enfers.

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  3. BOUTFIL 21 juin 2015 / 17 h 57 min

    ils se rendaient bien compte qu’on les menaient à l’abattoir et en même temps, ils accomplissaient les directives avec un grand respect, ça donne à réfléchir sur le caractère moutonnier des hommes !

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    • Pangloss 21 juin 2015 / 18 h 02 min

      Ils étaient à la fois bien obligés, solidaires de leurs camarades et -quand même- patriotes. C’est sur le sol français qu’ils se battaient.
      Bonne soirée.

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